Le poteau de bois vibrait sous les assauts que menait la jeune fille. Des entailles fraîches s'ajoutèrent aux marques déjà nombreuses du bois tandis que la lame frappait sans répit. Elle était seule avec son épée et son ennemi ; rien ne pouvait la déconcen...
« Mirona ! Viens m'aider à cueillir les pommes ! »
Son arme frappa une dernière fois le poteau tandis qu'elle soupirait, rangeant ensuite son épée dans son fourreau et le laissant contre le bois, derrière la maison. Elle rejoignit son père au verger sans discuter ; après tout, il pouvait lui interdire de toucher à son épée pendant un moment... Elle attrapa un panier sans s'arrêter, puis grimpa à une échelle. Son père était déjà dans l'arbre voisin ; les pommes tombaient dans son propre panier. Elle sourit et se dépêcha, bien déterminée à ramener plus de fruits que lui.
Le verger s'étendait sur une petite part de la plaine d'Hyrule, loin de la Citadelle. Mais cela n'empêchait pas son père d'aller jusqu'au château pour livrer ses pommes... Il harnachait Hella, leur jument, au chariot et partait pour deux ou trois jours. Mais il arrivait qu'il ne gagnait pas assez pour leur assurer un bon train de vie jusqu'à la saison suivante, et il partait travailler là où l'on pouvait lui offrir du travail...
« J'ai reçu une nouvelle commande aujourd'hui. Nous allons bien être payés, ce mois-ci. Peut-être tiendrons-nous jusqu'à l'an prochain...
- Alors tu pourras rester à la maison ? » demanda la jeune fille, un sourire apparaissant sur ses lèvres tandis qu'elle tâtait un fruit pour le laisser tomber dans son panier.
Elle entendit résonner le rire de son père.
« J'ai dit peut-être. Je ne sais pas encore... Mais ne t'en fais pas, même si je devais aller travailler, je ne manquerais pas de m'entraîner avec toi.
- Ce n'est pas que pour ça que je demandais... » grommela-t-elle.
Un nouveau rire la fit sourire. Oui, décidément, elle aimait sa vie tranquille au verger...
***
Ils rentrèrent au crépuscule avec quatre paniers remplis. Alors qu'ils ouvraient la porte, l'odeur de la viande sur le feu leur mit l'eau à la bouche.
« Maman ? » appela Mirona. « Tu es là ?
- Dans la cuisine ! » lui répondit une voix féminine. « Installez-vous, le repas va être servi ! »
Ils s'exécutèrent, et ce fut avec ravissement qu'ils virent arriver la maîtresse de maison, les bras chargés d'un plat des plus appétissants. Les parts furent distribuées, et la jeune fille attaqua avec plaisir le contenu de son assiette. Sa mère poussa un léger rire.
« Tu as l'estomac dans les talons, dis-moi. Tu t'es encore entraînée tout l'après-midi ?
- Non, pas tout. J'ai aussi aidé papa pour la récolte.
- Vraiment ? Et comment ça s'est passé ?
- Il a encore ramené plus de pommes que moi, » grogna-t-elle, provoquant les rires de ses parents.
Son père passa doucement une main dans ses cheveux.
« Quand tu auras fini, va m'attendre dehors avec ton épée en bois. Tu auras ta vengeance - si tu parviens à me battre... »
Un sourire éclaira le visage de Mirona, qui se dépêcha de finir son assiette, quittant la table et sortant, allant chercher son épée en bois. Elle alluma les trois torches, éclairant l'espace qu'ils occupaient lorsqu'ils se livraient à ces combats. Le poteau de bois était non loin, mais suffisamment à l'écart pour qu'ils ne risquent pas de le heurter.
Elle donna quelques coups simples dans le vide pour s'échauffer, attendant son père tandis que les ténèbres de la nuit s'installaient, toujours plus nombreuses. La lune leva son œil à demi-ouvert, contemplant silencieusement et froidement la jeune fille qui tournoyait.
Une lame de bois vint finalement se heurter à la sienne. Elle sourit à son père.
« En garde, jeune fille. »
Elle s'écarta sans se faire prier, se plaçant face à son père tandis qu'il entrait dans la flaque de lumière. Ils s'observèrent un moment, cherchant une faille dans la garde de l'autre, silencieux. Il se déplaça sur le côté, elle en fit de même, ne le quittant pas des yeux une seconde. Puis elle s'élança.
Il para d'abord sa première attaque et riposta, mais elle était plus agile, et esquiva. Utilisant son élan, elle tournoya pour le frapper du plat de la lame, mais il plaça sa lame de bois sur la trajectoire de la sienne. Elle s'écarta, l'étudia un instant, puis ils reprirent leurs assauts.
Un hurlement strident ainsi qu'un bruit de verre brisé les interrompit brutalement. Mirona voulu se précipiter à l'intérieur, mais son père lui attrapa le poignet, la faisant reculer.
« Selle Hella et va-t'en. Ta mère et moi viendrons te chercher lorsque le danger sera écarté.
- Non ! Je peux me battre, laisse-moi...
- Ne discute pas ! » gronda son père, la coupant. (Il lui sourit, passant rapidement sa paume dans ses cheveux) « Je ne veux pas vous perdre, ni toi, ni ta mère. Tout va bien se passer. Va te mettre en sécurité, et ne reviens que si tu es assurée que tout danger a disparu. »
Voyant qu'il ne céderait pas, elle baissa les armes. Elle ceignit rapidement sa ceinture et sella rapidement la jument, sortant bientôt à bride abattue dans la plaine tandis que résonnaient les bruits de lutte dans la maison. Son père se battait déjà avec fureur... Elle avait entendu son cri. Sa mère était-elle morte ? Elle préférait ne pas y penser.
Pourtant, lorsqu'elle fut suffisamment éloignée, elle se retourna. Et ce qu'elle vit se grava à jamais dans sa mémoire, tant l'horreur de ce tableau était grande.
Les ténèbres nocturnes s'écartaient devant les flammes crépitantes qui envahissaient la maison et le verger entier. Chaque flamme bondissait de branche en branche, rongeant avidement le bois dans un concert de craquements sinistres. De sombres silhouettes dansaient entre les reflets enflammés, et elle parvint à distinguer deux personnes pendues à l'un des arbres, la lune observant la scène de son œil blafard rendu bleu par la fumée.
La jeune fille hurla, lançant sa jument au galop sous la surprise. Comme vidée, elle la laissa aller, ne songeant pas à l'arrêter. Ses parents... Son père et sa mère, si aimants, étaient morts... Elle n'avait plus de foyer, plus rien... Les flammes avaient dévorées son monde.
La pluie se mit à tomber, continuant dans l'aube grise et glaciale, les gouttes d'eau se mêlant à ses larmes. Hella ne galopait plus, adoptant la marche. La faim lui tiraillait le ventre, mais elle ne le sentait pas. Plus rien n'avait d'importance à ses yeux, puisqu'elle avait perdu tout ce qui était cher à son cœur.